Dans
la littérature médicale, de nombreux débats ont lieu sur les
origines temporelles de la trisomie 21 (J.M. Starbuck, 2011). A.E.
Mirkinson (1968) et E.P. Volpe (1986) (tous ces hommes sont des
chimistes ou des biochimistes), en constatant que les particularités
cliniques de cette maladie chromosomique ne semblent pas avoir été
individualisées avant la description faite par Down, se demandent
s’il ne s’agit pas d’une pathologie récente. Une
interrogation nettement formulée par T.E. Cone (1968) et par H.
Zellweger (1968).
Cependant
la description tardive de la trisomie 21 peut s’expliquer par
plusieurs raisons :
Les
enfants affectés avaient une
santé fragile, à
une époque où les soins médicaux étaient médiocres.
La
fréquence dès naissances porteuses d’une trisomie 21 augmente
avec l’âge
maternel, surtout à
partir de la quarantaine. Il
y a quelques siècles, seulement
la moitié des femmes dépassait l’âge de 35 ans, ce
qui réduisait le nombre de mères potentiellement porteuses
d’un enfant atteint (J.M.
Starbuck, 2011).
Seule
deux approches peuvent apporter une réponse au problème de
l’ancienneté de la trisomie 21 :
-
L’ostéo-archéologie. L’étude des malformations
squelettiques provenant de nécropoles très anciennes a
permis d’identifier des cas parfois très
probants, parfois seulement vraisemblables, de trisomie
21 (P. Charlier). Un cas concernant le squelette d’une femme
indienne vieux de 5200 ans pourrait correspondre à une trisomie 21
(1991), mais sans certitude formelle. La description par J.R.
Brothwell (1960) d’un squelette datant
des années 700 à 900, trouvé dans un cimetière, à
Breedon-on-the-hill dans le Leicestershire (Royaume-Uni) et dont les
caractéristiques correspondent à une trisomie 21 paraît
possible. Et encore l’étude d’un cas de trisomie 21
identifié sur un squelette qui date de la fin du Vème siècle par
D. Castex et al. (2009) paraît très démonstrative.
-L’étude
de la pathologie révélée par les œuvres d’art. Dans les arts
visuels, la représentation de la trisomie 21 se trouve dans
des œuvres sculptées, des figurines, des
vases, dont la réalisation remonte aux civilisations
grecques les plus anciennes pour s’étendre à celles de l’Amérique
précolombienne et, à partir de la Renaissance, dans un nombre
significatif de tableaux. Voici quelques exemples de
certaines de ces œuvres :
-
Diamandopoulos et al (1997) ont décrit une idole en argile qui,
selon eux, daterait de 5 000 ans environ avant J.C. ce qui correspond
au néolithique . Elle montre des fentes palpébrales obliques et une
racine du nez effondrée. La présence d’une trisomie 21 sur cette
idole a été suggérée sans preuve
convaincante. Si le diagnostic proposé était exact, il
s’agirait de la représentation la plus
ancienne de cette trisomie.
-
Parmi les civilisations précolombiennes, l’art
olmèque qui
s’est développé entre 1 200 avant J.C. et 500 après J. C. a
montré une grande maîtrise de la sculpture de la figure humaine.
Les Olmèques étaient de fins
observateurs des pathologies humaines et
les représentaient avec beaucoup de réalisme et de soin. Une place
importante est donnée à l’homme-jaguar, figure hybride où le
corps humain et la figure de l’animal sont imbriqués. Selon G.
Milton et R. Gonzalo (1974), plusieurs figurines olmèques présentent
les caractéristiques de la trisomie 21 , un
statut particulier aurait été attribué aux individus atteints de
ce syndrome, parce
qu’on pensait qu’ils étaient le fruit d’un accouplement entre
une femme et le jaguar, divinité
majeure chez les olmèque. Cependant la
civilisation Olmèque est très
peu connue. De
plus, c’est la population la plus ancienne du Mexique et
elle avait un stade de développement très avancées.
-
En Europe, c’est à partir de la Renaissance que des peintres ont
représenté sur leurs tableaux des
enfants dont les traits du visage évoquent la trisomie 21. D’autres
tableaux, dus à des peintres italiens et flamands, sont plus
convaincants. Parmi les œuvres qui peuvent évoquer une trisomie 21,
il faut mentionner trois
tableaux d’Andrea Mantegna : La
Madone et l’enfant (Figure 1) , La Vierge et l’Enfant (Figure 2),
la Vierge et l’Enfant avec Saint Jérôme et Saint Louis de
Toulouse( Figure 3). Andrea Mantegna a eu quatorze enfants, dont l’un
aurait été atteint de trisomie 21. Ce fait pourrait expliquer qu’on
en trouve la figuration dans son œuvre. Selon une autre hypothèse,
ce serait le portrait d’un enfant de la famille de Louis III
Gonzague, marquis de Mantoue (B. Stratford, 1982).
Il paraît certain qu’ils n’étaient ni rejetés ni exclus de façon systématique à partir du moyen âge, comme c’était le cas dans les temps les plus reculés de l’Antiquité gréco-romaine, en particulier à Sparte. Il est plausible que la société christianisée, ainsi que d’autres civilisations, se montraient tolérantes pour ce qu’elles percevaient peut-être comme un retard mental moyen, améliorable par une éducation patiente et attentionnée. L’étude des œuvres d’art montre que la trisomie 21 est une pathologie très ancienne. En effet la trisomie 21 est probablement aussi ancienne que le chromosome 21. Selon F. Richard et B. Dutrillaux (1998), qui ont étudié l’évolution chromosomique, il s’est formé il y a 30 à 50 millions d’années. L’homme a deux chromosomes de moins que le singe, car deux chromosomes ont fusionné, il y a plusieurs millions d’années, pour former le chromosome 2 humain, ramenant ainsi le nombre de chromosomes à 4. Chez les grands singes anthropoïdes ( nos plus proches parents ), le chromosome homologue du 21 humain porte le n° 22. La trisomie 22 a été observée chez le chimpanzé et chez l’orang-outan . C’est l’équivalent de la trisomie 21 chez l’homme, ce qui se traduit par des signes cliniques très semblables, y compris pour les différences faciales. C’est ainsi que l’épicanthus de la langue se voit chez le chimpanzé trisomique. Il paraît établi que la trisomie 21 remonte aux premiers temps de la lignée des primates et pourrait être la conséquence d’une mutation chromosomique dont l’histoire est vieille de plusieurs dizaines de millions d’années.
Même
si les art et les traces archéologiques sont très
démonstratives, elles ne peuvent remplacer les faits
concrets et vérifiés par la communauté
scientifique et par des textes écrits. C’est
pourquoi voici une liste des plus importants découvertes sur la
trisomie 21 avérés jusqu’à la
découverte de Jérôme Lejeune :
Dans
l’antiquité : Platon (427-348 av. J.-C.) et Aristote (384-322 av.
J.-C.) évoquent dans certain de leur récit les personnes
atteint de trisomie 21 en des termes
peu élogieux et péjoratifs. Platon
fait mention des personnes ayant une
déficience intellectuelle, il
recommande notamment de
les rejeter et de les cacher. Quant
à lui, Aristote réclame, dans sa Politique, que seuls les enfants
normaux doivent
être élevés.
Puis
il faut attendre le Moyen Age pour trouver d’autres témoignages :
- Dans
un écrit d’un grand abbé de l’ordre Saint Hugues datant de
1070. Il dit que ces frères, malgré leurs talents, ne purent être
ordonnés prêtres parce qu’ils n’avaient
pu apprendre à lire, à écrire et à dire la messe. Suit
plus loin une description de ces frères aux
yeux bridés.
- Dans
les archives du château de Chenonceau, on retrouve un texte relatif
à la reine Claude de France, femme de François 1er, dont le
chroniqueur nous décrit la « disgrâce
physique », pure description de femme atteinte
de trisomie.
-Des
tableaux de l’époque de Rubens, dont certains sont attribués au
peintre (1577-1640), représentent de
jeunes princes atteints de trisomie, richement parés
siégeant à leur place aux côtés de leur Empereur de Père.
-Un
tableau daté du règne de Louis XIV (1638-1715) représente un
général, manifestement trisomique,
allant à cheval au combat
-1785
: J.F. Esquirol parle dans ces écrits, d’enfants
atteints « d’états de stupeur » qu’il
qualifie ensuite d’idiots incurables.
-1840-1885. E.
Sequin reprend le travail d’Esquirol et cherche à démontrer les
potentialités de ces enfants handicapés mentaux en créant à
Paris la
première école recevant ces enfants qu’il veut éduquer. Il
a également partcipé à la création de centre aux
Etats-Unis. Cependant
ni Esquirol, ni Sequin ne parlent ou ne décrivent des enfants
atteints de trisomie. Ils
parlent d’idiots, de retardés mentaux.
-
1866 : John Langdon Down a été frappé par
la ressemblance des traits du visage, chez
certains d’entre eux, avec ceux des individus originaires de la
Mongolie. Il écrit qu’ “un très grand nombre d’idiots
congénitaux sont typiquement Mongols… Si on les met côte à côte,
il est difficile de croire que ces spécimens ne sont pas, si on les
compare entre eux, les enfants des mêmes parents”. En partant de
cette observation, Down pense que les individus atteints de ce
syndrome diffèrent des autres arriérés mentaux et les désigne par
les termes "d’idiots mongoloïdes”.
-
1909 : Un texte de l’Académie nationale de médecine
reprend le descriptif de Down suivi d’un commentaire évoquant des
« êtres frustres, à l’évolution
lente, qui rappellent le mongol qui sommeille en tout
homme »
-
1924 : Reprise d’une théorie fréquemment invoquée à
l’époque pour des problèmes divers où il est dit en résumé que
la naissance d’un enfant mongolien est
révélatrice « il y a quelque part un grand-père qui a
fauté. Et quand les parents mangent des raisins verts, les enfants
grincent des dents ». On sait toutes les conséquences que cette
théorie eut pendant des années pour ces enfants que les familles se
sont mises à cacher.
-1952
: Bernheim, médecin lyonnais, publie sa théorie qu’il
intitula « les lois du hasard » et
il évoque pour expliquer la naissance d’enfant mongolien la
thèse de l’accident, du hasard inexpliqué provoquant
ce qu’on appelait le « mongolisme » et ce, hors de toutes
références sociales ou héréditaires.
-
12 décembre 1959 : Publication
fondamentale de l’équipe R.Turpin, J.Lejeune,
M.Gauthier : la mise en évidence d’un chromosome surnuméraire au
sein de la cellule permet d’identifier une maladie jusqu’à la
inconnue et de situer les problèmes à leur vraie place, à savoir
comment aider les personnes concernées par
cette maladie. Pour la première fois, une pathologie,
cliniquement bien reconnue, est rattachée à une
anomalie chromosomique précise et bien définie. Le
Syndrome de Down change de statut : de
tare mystérieuse, il devient une maladie génétique : la trisomie
21. Toutefois, ce fut plus tard encore que l’on comprit
toutes les conséquences de cette découverte. En révélant la
présence d’un chromosome surnuméraire au sein d’une cellule, on
peut enfin commencer à aborder les
problèmes de façon différente.
Pour conclure, avant la découverte de Jérôme Lejeune, plusieurs théories ont vu le jour. C'est à partir de 1959 que les personnes atteintes de trisomie 21 sont reconnues et par ailleurs permet l'évolution des mentalités de l'époque.
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